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Les gestes picturaux de Julien Nicolas
Les œuvres de Julien Nicolas résultent invariablement d’une même méthode : dessiner une ligne en suivant le bord d’un espace, puis en dessiner une deuxième longeant la première, et répéter ce geste jusqu’à ce que la zone à investir soit rempli. Ce protocole rigoureux offre néanmoins d’innombrables possibilités en fonction de la nature des espaces et des supports choisis, des outils et des matériaux utilisés pour le traçage, et de la relation s’établissant entre ceux-ci et le corps de l’artiste.
Si le papier a d’abord été le support de prédilection de Julien Nicolas, son attention aux espaces d’inscription de sa pratique graphique l’a rapidement mené à investir, à une autre échelle de travail, les murs, l’architecture et le contexte urbain.
Dans le cadre de l’office de la créativité, l’artiste a tout d’abord occupé une surface murale située sous un pont ferroviaire, en y traçant des traits horizontaux du sol jusqu’à hauteur de bras avec du blanc de Meudon, au moyen d’une éponge montée sur une cale de bois. Il est également intervenu sur le sol d’une place circulaire, qu’il a marqué de cercles concentriques à la bombe aérosol à craie. Ces cercles soulignent par ailleurs l’excentrement du mobilier urbain de la place (une buse bétonnée et un pilier électrique), en empiétant sur lui.
Dans les deux cas, l’intervention est largement déterminée par le lieu et en souligne les propriétés physiques, tout en montrant comment ces dernières induisent une occupation de l’espace : horizontalité d’une zone de passage dans un cas, circularité d’un lieu possible de rendez-vous dans l’autre.
Lorsqu’un artiste intervient dans ce type d’environnement, ses préoccupations rencontrent l’espace public et collectif d’une toute autre façon que dans une institution artistique, où l’art est désigné comme tel par son contexte, et où l’usager a un statut déterminé et spécialisé, celui de spectateur. Pour autant, comme pour la plupart des artistes, le travail de Julien Nicolas n’est pas fondamentalement différent du point de vue plastique selon qu’il soit destiné à l’espace d’exposition ou à la rue. La particularité de ses interventions est alors de proposer dans l’espace public des signes qui se dérobent à une interprétation immédiate et univoque, car ils n’ont pas de message comparable à la majorité des autres signes que l’on y trouve habituellement, qu’ils soient informatifs, publicitaires, politisés, etc. Les interventions de Julien Nicolas sont des objets visuels qui n’énoncent a priori rien d’autre que leurs propres conditions d’apparition et leurs propres qualités plastiques. Mais alors que l’espace urbain est extrêmement réglementé par les pouvoirs publics, tout en étant de plus en plus privatisé, et qu’il n’est souvent que le lieu d’expression d’une parole autorisée, le travail de Julien Nicolas n’en est pas moins politique dans sa capacité à générer du doute, à déclencher la parole ou à susciter la réflexion, plutôt qu’à les imposer ou à les calibrer. Discrètement, mais non moins concrètement, ses interventions articulent ainsi des sensibilités et des intelligences individuelles dans un espace partagé et commun.

 

Jérôme DUPEYRAT
Publié par l’Office de la créativité dans un bulletin d’information en 2015, sous la direction de Mathieu TREMBLIN.